Val d’Europe – Réécriture d’une H/histoire


 

Architecture du Val d’Europe ou la réécriture d’une H/histoire

Mémoire de 5e année (M2) – École nationale supérieure d’architecture Paris-Malaquais, Département Architecture et Sociétés
Sous la direction de Lionel Engrand et Monique Eleb
Juin 2004
 

 

Dans les interstices jusqu’alors oubliés par les politiques de construction successives des villes, jusque dans la planification puis l’élaboration des villes nouvelles, un nouveau style apparaît. En effet, partout où il faut construire de l’habitat, une nouvelle esthétique à dominante historiciste ou néo rurale se développe. Elle est particulièrement visible dans les villes et territoires à forte croissance urbaine et existe en réalité depuis une douzaine d’années dans les villes nouvelles plus particulièrement. Ainsi, de nombreuses villes en développement n’ont-elles pu résister à l’apparition de ces « revivals ».
 

Ceux-ci s’imposent désormais dans ces secteurs en pleine expansion et ne cessent de se manifester sous des apparences multiples. En effet, aujourd’hui plus que jamais, la production architecturale en matière d’habitat, à petite ou grande échelle, semble rimer avec l’emploi de modèles et de références historicistes. On peut voir ça et là l’affirmation d’un fronton néogrec parfaitement porté par deux colonnes, le tout formant un porche édifié en l’an 2004. De la maison individuelle vantée par les constructeurs jusqu’à la construction d’immeubles d’habitation édifiés par des architectes, on trouve le plus souvent les mêmes modèles composant ou ornant la façade avec un ordonnancement bien connu et reconnaissable qui va du néoclassique au néo haussmannien en passant par le néo-rural. Depuis plus d’une dizaine d’années, on voit émerger une nouvelle ville à l’est de Paris. Située dans le secteur 4 de Marne-la-Vallée, Val d’Europe, nouveau secteur en chantier n’est pas pour autant identifiable aux villes nouvelles initiées par Paul Delouvrier, trop souvent amalgamées aux maux des banlieues dont on parle tant. Espaces inqualifiables parce qu’« inqualifiés » la plupart du temps, la ville nouvelle des années soixante-dix vit mal son passage au XXIe siècle. C’est sur ce constat que la ville de Marne-la-Vallée a attaqué sa quatrième phase de construction de morceau de ville, mise en chantier concomitante, et pour cause, avec l’implantation du parc de loisir Disneyland dans ce même secteur, qui devait importer avec lui millions de touristes et quantités de prescriptions architecturales et urbaines rigoureuses. Etat, région et aménageur (Disney) décidèrent main dans la main de planifier la mise en forme d’un périmètre autour du parc et d’en assurer le développement en prenant le contre-pied des règles qui ont édicté la construction des villes nouvelles des années soixante-dix. Ce partenariat public/privé, caractéristique fondamentale du projet et ayant la mainmise sur un secteur parfaitement délimité, l’aménagement du quatrième secteur de la ville de Marne-la-Vallée, va s’établir de manière particulièrement contrôlée et efficace. Effectivement, force est de constater aujourd’hui la réussite de cette politique, totalement ancrée dans un système critique à l’égard de la ville moderne, trouvant par-la même le besoin justifié de retrouver les qualités de la ville traditionnelle qui dessine rues, îlots et places, et cherchant dans un langage délibérément classique, suranné ou bien néo-quelque-chose le moyen d’affirmer cette volonté. Cette démarche, soutenue à grand renfort de communication, a favorisé l’émergence d’une ville traditionnelle, certes, mais aussi volontairement ancrée dans un langage architectural passéiste.
 

L’architecture du Val d’Europe se trouve aujourd’hui prise en étau entre le néo haussmanisme et un éclectisme débridé version XXIe siècle. Certaines architectures ont emprunté des images à plusieurs styles historiques hérités du XIXe siècle. Ainsi, l’histoire, qu’elle soit avec un grand « H » ou un petit « h », n’est certainement pas absente dans l’élaboration du processus de fabrication de la ville. Moyen d’identification et d’enracinement pour les habitants ou faisant partie intégrante de la conceptualisation d’un projet, on cherche une histoire, celle qui va s’incarner et s’écrire sur les façades de ces immeubles à peine sortis de terre. Refuge ou nouveau vecteur de valeurs, cette approche est sûrement à relier à l’histoire, en tant qu’aboutissement d’un processus de maturation de différentes pensées à propos de la ville et des « styles », et en tant que rejet du langage moderne qui a largement participé aux réflexions sur la ville et l’architecture au XXe siècle. C’est la complexité et la dimension paradoxale de Val d’Europe qui est intéressante. Elles viennent d’abord de l’opposition ou de la complémentarité de deux cultures, française et américaine, qui s’incarne dans le partenariat entre Disney et l’Etat français à la base de la construction de la ville. L’autre opposition est celle de la ville réelle, celle où l’on vit, et de la ville imaginaire, celle de Disneyland. Elle est spécifique à ce site. Une autre opposition, plus banale est la dualité ville-campagne. Donc, l’intérêt d’étudier ce site repose sur ces dimensions paradoxales. Ainsi, il conviendra donc, parfois, d’apporter un double regard, à la croisée des cultures française et américaine. En effet, la construction du Val d’Europe peut être considérée comme un aboutissement d’une réflexion sur la ville. En France, elle vient à la suite d’une pensée, le post-modernisme, qui consiste à retrouver des villes traditionnelles faites de rues et îlots. Aux Etats-Unis, ce courant s’appelle le « New Urbanism » et se développe notamment dans la ville de Celebration, construite à côté du parc Disney d’Orlando en Floride. Les tenants du New urbanism souhaitent mettre fin au zoning qui séparait zones d’habitations et zones commerciales, en créant de nouvelles unités de voisinage qui minimisent la dépendance envers l’automobile et donnent priorité au piéton. Aussi, se situe-t-on peut-être dans ce que nous pourrions qualifier de quête d’une qualité de vie et d’images rassurantes, connues et reconnues, porteuses de valeurs sûres au travers de cet étalage de clichés et d’histoires racontés au fil de la ville. En proposant « l’Architecture et l’Urbanisme au service de la Ville », Val d’Europe va renouer avec la ville traditionnelle classique et utiliser un certain nombre de styles historiques et régionalistes d’Ile-de-France, telle l’architecture parisienne du XIXe siècle ou le modèle des grandes fermes briardes. Mais qu’en est –il réellement de l’utilisation des modèles de référence ? On peut aisément constater que certaines utilisations de ces styles relèvent plus d’un éclectisme que du maniement raisonné d’un seul « style » à la fois. De cette façon, on mélange frontons classiques et faux linteaux métalliques, le tout sur une façade crépitée parsemée de volets en bois méridionaux. Peut-être assiste-t-on ici à une résurgence de l’éclectisme du XIXe siècle, et avec lui, sa cohorte d’idées d’un retour aux vraies valeurs et au vrai savoir-faire dit « à la française » qui s’appuierait sur la connaissance des styles historiques et les techniques anciennes de construction, seules porteuses de toute l’identité revendiquée de notre bon vieux temps. Aussi semble-t-on se rapprocher d’une attitude héritée du XIXe siècle, lui-même constitué d’une utilisation toujours justifiée et revendiquée de nombreux styles appartenant à l’histoire. En effet, pour Viollet-le-Duc, le retour du gothique considéré comme art national par excellence, rimait avec le retour du savoir-faire et de la connaissance de l’artisan. Est-on réellement loin de cette vision d’un art qui dominerait tous les autres aujourd’hui par des qualités esthétiques et des qualités de mise en œuvre par le maçon du XXIe siècle… ? Le langage classique du Val d’Europe peut-il être considéré à la manière du gothique retrouvé du XIXe ? Le maniement des références à l’Histoire utilisées à Val d’Europe est particulier et propre à ce site et à la mise en œuvre de la conception des projets architecturaux. Aussi, le choix des thèmes et leur interprétation n’est pas dû au hasard, la politique de l’aménageur Disney et des architectes qu’il a « agréé » influe largement sur le résultat de l’opération. En effet, de la création à la construction puis à la vente des « produits architecturaux », tout repose sur un cahier des charges et un règlement très étudié : des modèles référentiels et leur adaptation aux procédés de construction modernes et aux nouvelles façons d’habiter aujourd’hui, très différentes du XIXe siècle bien évidemment. Il me semble important de noter les relations qui existent entre l’Histoire et le projet en vue de l’identité que l’on veut lui attribuer. Parfois même, le besoin de se raconter une petite histoire sera nécessaire afin de justifier une identité définie par un règlement peut-être beaucoup moins poétique. La recherche de repères va de pair avec la mise en marche d’une attitude de référence à l’Histoire, pour créer l’identité d’un bâtiment et pour la justifier a posteriori. De plus, la démarche des concepteurs de Val d’Europe pose inévitablement la question de l’imitation, de la réutilisation, de la réinterprétation et s’intéresse aux démarches volontairement ancrées dans l’œuvre d’un prédécesseur. Il s’agit peut-être d’une reformulation des expressions du classique et de l’architecture rurale, ou bien s’agit-il d’une simple et pure imitation de l’Histoire qui se substituerait au concept même de création ?
 

Ces réalisations n’ont pas de mal à trouver leur public, futurs habitants de ce dernier secteur de ville nouvelle. Bien que cette architecture soit toujours sujette aux controverses sur la scène du débat architectural contemporain, elle trouve de nombreux consommateurs à la recherche d’une qualité de vie et peut-être parfois de repères incarnés par ces styles historiques évocateurs de douceur de vivre d’autrefois. Il sera intéressant de relever la façon dont s’opère cette rencontre de l’architecture avec son public.
 

Grâce à la mise en perspective des nombreux documents qui ont accompagné la création de cette nouvelle ville, nous pouvons remonter le fil de l’histoire et comprendre les raisons profondes qui ont motivé et motivent encore les concepteurs de Val d’Europe. Celle-ci sera vue, tantôt sous un angle « typique », celui qui fait référence aux petites villes traditionnelles imitées, tantôt d’un point de vue « atypique », loin des archétypes des villes des banlieues. Ce corpus va nous permettre de recueillir prescriptions architecturales et urbaines ainsi que revendications de la part de tous les acteurs, parti prenante de cette entreprise. En plus de ces sources de compréhension, l’analyse des façades in situ, permettra la comparaison inévitable entre le modèle de référence et ce que l’on est amené à découvrir à Val d’Europe de ses propres yeux…
 

Comment les concepteurs du projet, de sa création à la vente, revendiquent-ils une appartenance à une Histoire des petites histoires, à la qualité de la ville et de la vie ?

De quelle façon se manifestent ces styles et comment sont-ils utilisés en temps que modèles de référence ? Pourquoi ces modèles retenus font-ils écho positivement et sont-ils évocateurs voire synonymes de qualité de vie ? Existe-t-il, à l’instar du XIXe siècle éclectique, une architecture éclectique du XXIe siècle alimentée d’images empruntées à tous les styles ?